Data centers en France : Microsoft, OpCore, Eclairion… La bataille des infrastructures

Les annonces se succèdent à un rythme effréné. Microsoft injecte 4 milliards d’euros pour étendre ses capacités entre Paris, Marseille et Mulhouse. OpCore, filiale d’Iliad, réplique avec un projet équivalent en Seine-et-Marne. Eclairion promet 2,5 milliards sur quatre ans. Ces chiffres donnent le vertige, mais ils masquent une réalité plus complexe : la France devient un terrain de jeu où les ambitions industrielles se heurtent aux impératifs de souveraineté numérique.

Une pluie de milliards sur le territoire français

Le sommet Choose France 2024 a marqué un tournant. À Versailles, Emmanuel Macron a salué l’investissement record de Microsoft, présenté comme le plus important jamais réalisé par l’entreprise américaine dans l’Hexagone. Le géant de Redmond prévoit d’installer jusqu’à 25 000 GPU dédiés à l’intelligence artificielle sur ses sites français d’ici fin 2025. Un troisième centre de données verra le jour à Petit-Landau, près de Mulhouse, sur un terrain de 37 hectares. Côté français, OpCore (né de la scission des activités datacenter de Scaleway) a négocié avec EDF pour s’implanter sur le site d’une ancienne centrale thermique à Montereau-Vallée-de-Seine. Le projet représente une capacité de plusieurs centaines de mégawatts et devrait être opérationnel dès 2027.

La course à la puissance de calcul pour l’IA

L’explosion de la demande en intelligence artificielle générative bouleverse les besoins en infrastructures. Les modèles de langage comme GPT ou Mistral nécessitent des fermes de serveurs équipés de processeurs graphiques haut de gamme. Chaque requête lancée sur ChatGPT ou Claude mobilise une puissance de calcul considérable, hébergée dans ces centres de données qui poussent aux quatre coins du globe.

La France dispose d’atouts non négligeables : une électricité décarbonée et relativement bon marché grâce au parc nucléaire, un réseau de fibres optiques bien développé, et une main-d’œuvre qualifiée dans le secteur tech. Ces arguments séduisent les investisseurs étrangers, qui y voient une porte d’entrée vers le marché européen. Mais cette attractivité a un revers.

Le mirage d’une souveraineté numérique européenne

Derrière les annonces triomphales, une question demeure : à qui profitent vraiment ces infrastructures ? Car si les data centers s’installent sur le sol français, les technologies qu’ils abritent restent américaines.

AWS, Azure, Google : 72 % du marché européen

Les hyperscalers américains contrôlent aujourd’hui près des trois quarts du cloud en Europe. Amazon Web Services domine avec 32 % de parts de marché, suivi par Microsoft Azure à 23%. OVHcloud, le plus gros acteur européen, plafonne sous les 2%. Ce déséquilibre s’accentue à mesure que les géants américains renforcent leur présence physique sur le continent.

Le Cloud Act, épée de Damoclès juridique

Peu importe l’emplacement géographique des serveurs : le Cloud Act américain autorise les autorités fédérales à accéder aux données hébergées par une entreprise de droit américain, où qu’elles se trouvent. Un data center Microsoft à Mulhouse reste soumis à la juridiction des États-Unis. Les initiatives comme Bleu (joint-venture entre Orange, Capgemini et Microsoft) tentent de contourner ce problème, mais le cœur technologique reste américain.

Les acteurs français face au mur de l’échelle

OpCore et Eclairion incarnent une volonté de construire une filière française. Thomas Reynaud, PDG d’Iliad, présente le projet de Seine-et-Marne comme une infrastructure stratégique pour que « la France et l’Europe gardent le contrôle de leur destin numérique ». Les montants engagés (4 milliards pour OpCore, 2,5 milliards pour Eclairion) témoignent d’une ambition réelle.

Seulement voilà, ces investissements restent modestes comparés aux budgets des hyperscalers. Amazon, Microsoft et Google prévoient chacun d’investir entre 75 et 100 milliards de dollars en 2025 dans leurs infrastructures mondiales. L’écart se creuse au lieu de se réduire. Le projet européen Gaia-X, censé fédérer les acteurs du continent, a perdu en crédibilité après l’entrée des GAFAM dans sa gouvernance. Scaleway avait claqué la porte dès 2021, estimant que les géants américains détournaient le projet de sa vocation initiale.

Un paradoxe qui s’installe dans la durée

La France accueille des investissements records, crée des emplois dans le BTP et la maintenance, forme des ingénieurs aux métiers du numérique. Les élus locaux se réjouissent des retombées économiques. Mais chaque milliard injecté par un acteur américain renforce sa position dominante et éloigne un peu plus l’Europe d’un cloud véritablement souverain. Les données des entreprises et des administrations françaises transitent par des infrastructures locales, certes, mais restent exposées à des lois extraterritoriales. Le rapport 2024 de la Cour des comptes sur la souveraineté numérique de l’État ne dit pas autre chose : l’ambition française peine à se traduire en actes, faute de moyens à la hauteur et d’une stratégie européenne coordonnée. La bataille des data centers se gagne en France, mais les vainqueurs pourraient bien venir d’ailleurs.

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